I. SOMETHING OLD. « Occupe-toi bien de ta petite sœur. Tu me le promets ? » Posy regarda, sans vraiment le comprendre, les yeux emplis de larmes de sa mère. Ces larmes d'un bleu profond qui se fondaient en silence sur sa peau d'un azur plus clair. Sa sœur aînée, déjà humaine, se laissa embrasser sur le front, sans comprendre. Elle n'avait que six ans, Posy à peine un. « Vous allez vivre dans une autre famille, aimante, qui vous verra grandir. » Les larmes coulaient désormais sans retenue. « Veillez-bien l'une sur l'autre. » Elle embrassa le front de Posy, humaine à son tour, et tout devint noir.

II. SOMETHING NEW. Elles avaient encore changé de famille d'accueil. Celle-ci attendait un enfant, ô heureux évènement, et n'avait donc plus besoin d'elles. De ces deux gamines perdues, rêveuses, au regard d'étoiles, qui ne semblaient pas comprendre ce que la vie attendaient d'elles. Posy avait alors six ans, et revivait l'enfer du foyer. Elle supportait mal tous ces enfants, dans la même situation qu'elle, mais si différents. Ils étaient si bruyants, si futiles. Sa sœur, déjà grande, avait su s'intégrer, se faire des amis, des alliés, et voyait de moins en moins sa jeune sœur. Elle ne savait plus rien de sa promesse, effacée par les milliers d'étoiles traversées pour parvenir à la Terre. Et Posy était seule. Seule face à ce monde qu'elle n'aimait pas. Trop bruyant. Elle n'arrivait pas à s'adapter.

Elle errait, seule, dans les rues proches du foyer, courant après les feuilles oranges et rouges de que l'automne ravissait ou après quelques oiseaux malchanceux. Un sourire illuminait alors son petit visage pâle, heureux et rare évènement. Elle ne vit pas la voiture passer. « Attention ! » Elle se sentit attirée en arrière et poussa un long cri strident. Ses oreilles résonnaient du bruit de la voiture qui avait manqué de la tuer. Elle ne cessait de hurler, réalisant avec ses yeux d'enfant que la mort l'avait frôlée. Elle criait, se débattait dans l'étreinte solide d'un inconnu. « Calme-toi, calme-toi ! Eh, petite, doucement ! C'est fini, ne t'inquiète pas. » Elle cessa brusquement ses hurlements désespérés et se retourna vers l'homme qui la maintenant serrée dans ses bras, haletant bruyamment, encore sous le choc. « Me-merci Monsi-sieur... Vo-vous êtes qui ? » Il lui sourit doucement, soulagé de la voir se calmer enfin. Sans prévenir, elle se jeta à son cou et l’étreignit violemment. « Merci Monsieur. Merci ! » Elle sanglotait, incapable de réellement comprendre ce qui venait de lui arriver. Et pourtant, son esprit étonnant, si peu humain, réalisait ce que cet inconnu venait de faire.

Elle daigna enfin le lâcher et s'éloigna légèrement, contemplant avec un sourire baigné de larmes sa cape rouge, son plastron doré et son épée brillante, suspendue à sa taille. Comme il était étrange. Personne ne s'habillait comme ça de nos jours. Elle prit cependant la peine de vérifier qu'il était le seul ainsi vêtu dans la rue, tournant le cou. Lorsqu'elle fixa à nouveau son regard sur l'homme à la cape, il esquissa un clin d’œil et s'effaça vers un bâtiment, plus loin dans la rue. « Eh ! Reviens ! Monsieur ! » Elle lui courut après, en vain. Ses jeunes jambes tremblaient encore de peur et du choc, et elle savait qu'elle ne devait pas s'éloigner de ce pâté de maison. Elle s'assit alors sur un banc, entre les feuilles mortes, et fixa les alentours en attendant son sauveur en cape rouge.

Elle l'attendit chaque jour.
Elle ne le revit jamais.

III. SOMETHING BORROWED. Puis elles grandirent, ballotées au rythme des familles d'accueil, s'entendant de moins en moins bien. Si sa sœur aînée était la plus agréable des compagnes, Posy n'arrivait pas à trouver le même enthousiasme qu'elle. Solitaire, taciturne, on la fuyait plus qu'on ne cherchait à la connaître. La seule à attirer son attention était sa sœur, qui ne voulait pas de cette gamine maladive autour d'elle. Et pourtant. Jamais elles ne se séparèrent. Elles refusèrent toujours les familles d'accueil différentes, se retrouvaient toujours. Elles semblaient être liées, malgré leur inimité. Après tout ce qu'elles avaient traversé ensemble... Et pourtant, tout n'est que disputes et mésententes. Les insultes volent, le froid s'installe.

Elles vivent désormais dans le même appartement, minuscule, dans le centre de Londres, partagent encore cette vie commune, fusionnelle, mais si fondamentalement éloignée. Posy n'a pas changé, elle. Elle attend que le temps passe, elle attend de mieux comprendre, en dessinant fébrilement le monde alentour et l'homme à la cape rouge. Elle peint des ciels sombres, emplis d'étoiles qu'elle peut nommer. Ses aquarelles esquissent des larmes d'un bleu profond, ses fusains ombrent des symboles qu'elle ne comprend pas. Elle attend.
SOMETHING BLUE.