Toutes les histoires ont un commencement. Certaines commencent par « Il était une fois », d'autres encore commencent un sinistre jour pluvieux de novembre... Ça aurait pu être le cas de la mienne, si le destin n'avait pas décidé de me jouer un tour. Les histoires possèdent des débuts plus que variés, détaillés ou vagues, heureux ou malheureux... Mais les histoires ne commencent pas toutes par « Il était une fois ». La mienne commence par un son. Un bruit, le bruit le heureux que j'avais jamais entendu, que j'entendrai jamais. Un son à la fois si céleste et énigmatique que tout mon corps s'est raidi lorsque je l'ai entendu pour la première fois. Un son qui vous donne l'impression d'être une faille dans le temps, un point suspendu dans l'univers, comme une nuée de comètes dans un après-midi d'hiver. Mon histoire commence par les yeux écarquillés d'une petite fille à sa fenêtre, captivée par l'apparition d'une drôle de cabine bleue de l'autre côté de la rue, et émerveillée par un bruit.

Novembre 1998 - Waterford, Irlande. Assaillie par l'ennui, je regardais nonchalamment les gouttes frapper contre le carreau. Depuis le début de la journée, les aiguilles de l'horloge semblaient décidées à ne plus avancer ; tout semblait si lent... Même à l'extérieur, la ville était exempte de tout mouvement. C'était comme si tout le monde avait disparu. Les familles de Waterford s'étaient sans doute toutes réunies autour du feu pour animer ce dimanche d'automne, en sirotant un chocolat ou jouant aux cartes. Pour ma part, je n'avais pas vraiment grand chose à faire... Rien, en fait. Je n'avais strictement rien à faire hormis fixer la pluie battante qui sévissait au-dehors. Mon père était au rez-de-chaussée, j'étais à l'étage, et ma mère était dans sa chambre. Cela faisait un moment que mes parents ne s'adressaient plus la parole... Partout en ville les gens me regardaient bizarrement, comme s'ils savaient quelque chose que je ne savais pas encore. A l'école, ma maîtresse d'école me regardait avec un air désolé, toute compatissante et aux petits soins avec moi... Et les parents des autres élèves ne les laissaient pas s'approcher de moi, leur faisant tourner la tête lorsque je passais près d'eux à la sortie des classes. J'avais toujours été différente des autres, toujours été mise à part... Depuis mon entrée à l'école primaire, j'étais la petite fille qui rentrait seule chez elle, insouciante des dangers qui pouvaient rôder à l'extérieur. J'étais la petite fille qui s'émerveillait d'un rien, qui était attendrie dès lors qu'un papillon se perdait à virevolter autour d'elle... J'étais la petite fille qui n'était pas particulièrement brillante en cours, car toujours à rêvasser en regardant par la fenêtre, la petite fille qui ne trouvait jamais avec qui jouer pendant les récréations, car tout le monde la trouvait bizarre. Mais ces temps-ci quelque chose de louche se tramait dans mon dos, j'en étais sûre, ça n'avait rien à voir avec tout ça. J'entendais souvent mes parents se disputer, lorsque j'essayais de m'endormir le soir... J'entendais souvent les parents des autres enfants parler de mon père et de « Laura », sa « bonne femme française »... J'entendais aussi des mots que je ne connaissais pas, comme « adultère » ou « coucheries ». Certaines femmes gloussaient nerveusement, quand ma mère et moi passions devant elles au supermarché. Oui, ces temps-ci ma vie était loin d'être un long fleuve tranquille, mais je préférais rester dans l'ignorance et m'évader ailleurs... La nuit était mon moment préféré de la journée. C'était l'instant où je pouvais rêver être quelqu'un d'autre, rêver d'être une personne extraordinaire et de voyager par delà mille contrées imaginaires. Oublier que j'étais la petite fille bizarre, celle dont les parents se disputaient. Dans mes songes, j'avais déjà affronté des pirates, je m'étais battue en duel avec des serpents de mer, rencontré des créatures de la forêt, et même sauvé une planète. J'avais déjà parlé plus de langues que la Terre ne saurait en compter, voyagé dans plus de pays qu'on ne saurait nous en apprendre en cours de géographie. J'avais vu des ciels de diamant, des paysages rougeoyants comme des milliards de rubis. J'avais...

Un bruit me tira de ma rêverie. Un bruit étrange, totalement inédit, que je n'avais entendu dans aucun de mes rêves, ni même dans ma vraie vie. C'était un bruit totalement indescriptible, inimaginable. Sa source m'était totalement inconnue pour l'instant, et je me tournais et retournais partout sur le rebord de la fenêtre pour identifier sa provenance. J'avais fait un bond en arrière, frappée par la surprise. Ce son était à la fois agréable et infini... D'une profondeur telle que c'était comme s'il venait d'émerger du tréfonds de mon subconscient. Qui sait, peut être l'avais-je imaginé ? Mais non, il avait semblé réel. Il avait semblé si réel... Le silence se fit soudain. Plus aucun bruit pendant quelques secondes, puis j'entendis une porte s'ouvrir. Une porte qui venait de s'ouvrir dehors très exactement. Préférant opter pour un profil de discrétion, je me baissais pour observer ce qui se passait à l'extérieur... Seul mon nez, mes deux yeux et mes mains étaient visibles de l'extérieur, alors que j'assistais au spectacle le plus curieux qui me serait donné de voir dans ma vie. Une cabine bleue de police venait d'apparaître devant chez moi. Elle venait d'apparaître ! Il était certain qu'elle n'était pas là avant, je ne pouvais pas avoir rêvé... Et venait d'en sortir un homme étrange, vêtu de manière étrange, qui venait de s'adosser à la plus étrange des cabines de police. Il portait un pantalon trop court pour ses jambes tenu par des bretelles, duquel dépassaient deux chaussettes à motif, et une chemise bleu ciel. Il arborait fièrement une veste en tweed, et une tignasse décoiffée tombant sur de grands yeux d'enfant. Et il semblait qu'il m'avait remarqué, puisqu'il me fit signe, depuis l'extérieur... Je pris peur, bien sûr, mais rapidement attendrie par son large sourire bravant la pluie, j'entrouvris ma fenêtre de quelques centimètres. « Bonjour » marmonnais-je timidement. « Bonjour », me répondit-il plein d'assurance. Bon sang que j'étais impressionnée ! Un inconnu venait de me saluer, après être apparut aussi soudainement que rapidement devant chez moi... Pensez-vous, j'aurais pu avoir la peur de ma vie. Mais il semblait gentil, et la petite fille de sept ans que j'étais qui rêvait de voir le monde m'intimait de lui faire confiance. « Qui... qui êtes-vous ? » « Je suis le Docteur. »... Le Docteur... Cela ressemblait tellement à un scénario que j'aurais pu inventer dans mes rêves. Par pitié, dites-moi que cette situation n'est pas réelle, que je suis en train de tout inventer ! Le Docteur se redirigea alors vers l'intérieur de sa cabine de police. Pas déjà... ? « Non ! Non, ne partez pas ! » Prise d'un élan d'audace, je me remise fièrement sur mes pieds, et fermais d'un geste décidé la fenêtre. J'enfilais le premier manteau qui me tombait sous la main, et dévalais quatre à quatre les marches de l'escalier de la maison... Mon père se demanda ce qui m'arrivait, mais je n'eus pas le courage de répondre. La montée d'adrénaline avait fait effet presque instantanément, et je n'avais plus aucun moyen de revenir en arrière. Il fallait que je rattrape cet homme. Courant sous la pluie, mes petits pieds éclaboussaient mon pantalon lorsque j'avais le malheur de sauter dans une flaque d'eau... La cabine était toujours là, mais ses portes étaient fermées. Je me mis alors à frapper des poings contre les portes, criant presque pour que l'homme ouvre, ou au moins réapparaisse. De toute manière, il n'avait pas le choix, n'est-ce pas ? Une si petite cabine de police... Il n'avait nulle part où aller, là-dedans. Puis soudain, mes efforts furent récompensés. Il entrouvrit la porte, et alors je le redécouvris. Il était vraiment très grand, et me surplombait de toute sa hauteur. J'avais presque la sensation de l'avoir toujours connu, que c'était un ami proche, un ami de longue date. J'avais la sensation que je pouvais tout lui dire. Je n'avais besoin de lui dire qu'une seule chose. « Je rêve plus que tout de voir le monde ». Il me sourit alors, plein de tendresse... Il referma les portes, puis j'entendis un clic sonore. Je reculais. Les portes se rouvrirent encore, révélant l'intérieur du lieu... Ça n'était pas du tout comme dans une cabine de police... C'était plus grand à l'intérieur. « Fais-moi confiance, je suis le Docteur »

Décembre 2012 - Londres, Angleterre. Aujourd'hui, ça va faire quelques années déjà que mes parents ont divorcé, et ça fait bien longtemps que j'ai emménagé à Londres. Je suis étudiante en arts pour avoir quelque chose à noter sur mes papiers, et je travaille comme serveuse pour payer les factures, mais ce ne sont que des détails. Ma vie n'a commencé que le jour où j'ai rencontré cet homme étrange et sa boîte bleue. Le Docteur. Depuis, ma vie a été quelques peu mouvementée... Londres a été touché plus d'une fois par des menaces extraterrestres, et j'ai entendu parler du Docteur encore bien des fois. Bon nombre d'événements étranges se passent, depuis un moment, et j'ai trouvé des explications dans le groupe L.I.N.D.A. que j'avais rejoint en 2006... Il s'est dissout quelques mois après sa formation suite à d'autres événements suspects, mais cela m'a permis d'avancer dans ma pêche aux indices. Depuis, je continue mon enquête sur le Docteur, dans l'espoir de le revoir un jour... Sa cabine plus-grande-à-l'intérieur était une merveille parmi des milliers d'autres, qui ne demandent qu'à être explorées. Je ne suis plus une petite fille maintenant, je sais ce que je veux. Geronimo.