Salomée enfila un short en jean, un débardeur blanc et un large t-shirt noir qui lui retombait sur l'épaule, imprimé du logo du groupe allemand Rammstein. Elle se regarda dans le miroir, sourit à son reflet en se dirigeant vers la porte de sa chambre. Elle attrappa et enfila ses doc martens bordeaux, les lassa rapidement et passa une main dans sa frange, histoire d'être présentable. Elle glissa son sac sur son dos et sortit de sa petite pièce. Dans le salon, son père en était à son... eh bien, disons son énième verre d'un whisky bas de gamme. Il n'avait même plus le plaisir de boire un alcool de qualité. Le visage de l'enfant s'assombrit.
- Où tu penses aller habillée comme ça ? T'es sérieuse là ? Ta mère méritait mieux que cela... Tu devrais mettre cette jolie robe, c'était sa préférée ! Trainée...
Salomée jeta mécaniquement un regard vers la robe en question. Son père la gardait exposée dans le salon, comme pour retourner le couteau dans leur plaie. Il pensait qu'elle ne souffrait pas de l'absence de sa mère, parce qu'elle ne l'avait pas connue. Il pensait que c'était sa faute si elle était morte. Il pensait qu'elle aurait du la remplacer, être la même pour remplacer l'original, compenser sa perte. Et ces pensées tournaient en rond dans sa tête depuis quatorze ans qu'elle était née.
L'enfant paussa ses yeux bleux éclatants - ceux de sa mère - sur l'homme qui lui servait davantage de géniteur que de père. Elle semblait réfléchir profondément. Elle jeta un coup d'oeil à sa montre - celle de sa mère - et haussa les épaules. Le visage fermé, le regard dur, elle s'avança et arracha la robe de son ceintre, où elle pendait depuis tellement longtemps. Il émit un grondement de rage, mais était trop ivre pour réagir. Il avait tous les défauts du monde, mais était incapable de lever la main sur sa fille, bien qu'il la détestât au plus haut point. Elle lui rappelait trop sa femme, qu'il avait tant aimé. A chaque fois qu'il regardait son visage, il la voyait davantage en elle, et cela ne faisait qu'accroitre sa haine. La même, une autre...
Salomée retourna dans sa chambre, et quinze minutes plus tard, elle était de retour devant son père. Démaquillée, elle avait enfilé la robe virginale qui lui arrivait aux genoux. Il faisait suffisament chaud pour qu'elle ne porte pas de collants. Elle avait enfilé des bottines noires plus légères que les Doc, et un petit perfecto noir par-dessus. On ne s'oublie pas, quand bien même on tente de ressembler à l'autre. Son père la regarda sans mot dire et la laissa passer.

***

Sur la pointe des pieds, Salomée passa la tête dans l'ouverture du salon. Elle poussa un soupir et relacha la tension dans tout son corps : affalé de tout son long sur le petit canapée, son père ronflait joyeusement, endormi par l'alcool. Silencieuse, la jeune femme s'avança vers la bibliothèque, dirigea sa main vers la troisième rangée, à droite. Elle tenta deux, trois bouquins avant de tomber sur celui qui contenait la dernière pension de son père. Elle retira deux billets de faible valeur, juste ce qu'il lui fallait.
Elle avait opéré ainsi depuis plusieurs mois, et s'approchait chaque jour davantage de son objectif. En plus des petits larcins, elle avait vendu certaines de ses affaires, et s'était parfois privé de manger, préférant économiser.
Elle retourna dans sa chambre et ajouta son butin récent au pactole complet. Après un instant de réflexion, elle hocha la tête et s'assit à même le sol, en tailleur. Puis elle commença à compter les billets un par un. Au bout de quarante minutes, un large sourire étira ses lèvres. Elle se mit à rire en silence.

Elle allait pouvoir s'offrir le dernier petit bijou technologique, un ordinateur portable fin, quinze pouces - plus facile à cacher dans un sac qu'un dix-sept, même si elle l'aurait idéalement préféré. Elle avait des copains tous prêts à lui installer Linux. C'était parfait.

***

Salomée cligna des yeux, ne croyant pas à ce qu'elle voyait affiché sur son écran. Elle avait lancé la recherche juste pour rire, se disant bien que les fichiers nationals top secret devaient contenir quelques informations sur le sujet. Mais ça ! Tout ça ! Non, elle ne pouvait pas y croire. Elle ferma son ordinateur, le posa sur la table de nuit et éteint sa lumière. Elle devait dormir, elle verrait cela demain.
Allongée dans le noir, les yeux grands ouverts, le sommeil ne venait pas. Après tout, qu'est-ce qui l'obligeait à se lever tôt le matin, à se coucher à des heures décentes le soir ? Son père était à l'étage en dessous et ne pourrait rien lui dire. Elle avait un site à finir pour dans trois jours, mais ses employeurs se fichaient bien de l'heure à laquelle elle le faisait.
Elle devait en avoir le coeur net.
Elle ralluma la petite lumière à côté de son lit et rouvrit son ordinateur. Il fut allumé en quelques secondes, et la jeune fille fit pianoter ses doigts sur le clavier. Elle rouvrit le site du Ministère, entra quelques codes pour le craquer - ce qui se révélait affreusement simple pour un site renfermant autant d'informations capitales - et navigua à son gré dans les données nationales. Elle cliqua sur le petit fichier "UNIT", qui bien évidemment lui opposa une résistance supérieure au reste. Mais elle avait passé quelques semaines sur ce problème, et savait maintenant le dépasser en quelques clics et mots de passe longuement décryptés.
Toutes ces données sur l'Univers... Les réponses... Les extra-terrestres... La technologie alien en possession du gouvernement... Et ce mot, énigmatique, qui apparaissait partout. Docteur.
Salomée farfouilla encore. Ce devait être le nom d'une mission capitale, la conquête de l'Univers ou d'une planète pour remplacer la Terre quand les humains auraient fini de la saccager. Elle secoua la tête : ce n'était pas possible, ils semblaient y référer comme à une personne. Après tout, cela faisait sens : un Docteur ès aliens, probablement. Mais il apparaissait de façon si systématique...
Elle avait trouvé son nouveau sujet d'étude du moment. Et tout porte à croire que celui-ci ne serait pas qu'un passe-temps passager. Elle en avait pour un bon bout de temps. Un sourire étira ses lèvres fines.